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Presse
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" Opus musicum angelorium :
Quand la musique des Invisibles émerge aux confins du sensible
Hommage à Giacinto Scelsi "

par Pierre Albert Castanet, Itamar, n°5, 2019


Extraits


   
Si Arthur Rimbaud voulait raisonnablement « inspecter l’invisible et entendre l’inouï », Yves Bonnefoy a désiré mettre l’accent sur « la part aveugle du visible, de l’image vide, du bord où elles dessinent une limite où du même geste elles désignent un invisible et peut être un illimité ». Dans cet ordre d’idée désirant toiser l’infini, ne pourrions-nous pas évoquer « la part sourde de l’audible » et son incommensurable absoluité ?

    Saurions-nous également tendre une oreille sensible à l’émergence d’une musique provenant d’espaces supérieurs inatteignables ?



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    Parmi le lot des prières chantées et des sollicitudes purement instrumentales qui émaillent l’histoire de la musique occidentale, le solo de flûte de Giacinto Scelsi intitulé Pwyll (1954) porte par exemple le nom d’un druide. « Ce nom peut sans doute suggérer l’image d’une prière appelant les anges au coucher du soleil », avait ainsi expliqué le compositeur italien dans la préface de la partition. S’agirait-il de séraphins musiciens ? À cet effet, Pierre Jean Jouve – ami de Scelsi – a même évoqué un ange chef de choeur.

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   En dehors des divinités, les anges ont également influencé la musique de Grisey, sous deux formes : picturale et littéraire. D’une part, L’Icone paradoxale (1992-1994) pour deux voix de femmes et grand orchestre a désiré rendre hommage à la Madonna del parto peinte par Piero della Francesca. Ayant fasciné le musicien, ce célèbre tableau montre aux côtés de la madone centrale deux anges serviteurs. (...) D’autre part, la pièce inaugurale de son dernier opus, Quatre chants pour franchir le seuil (1996-1998), pour soprano et ensemble, a fait appel à un texte de Christian Guez Ricord parlant des invisibles. Désignant spécifiquement et poétiquement « La mort de l’ange », ce mouvement articulé autour de trois strophes se meut au travers d’un minimalisme calme et serein.


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    Rilke a raison de dire « Tout ange est terrible. » Dans cette lignée réflexive, Olivier Messiaen a composé neuf Méditations sur le mystère de la sainte trinité (1969) pour orgue, transcrivant musicalement (…) des fragments simples de textes religieux. Dans ces circonstances, la courte troisième méditation a traduit une phrase se situant en conclusion du deuxième article de la question 28 du premier « Livre de la Trinité », passage trônant au coeur de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin : « La relation réelle en Dieu est réellement identique à l'essence ».

  Quant à Philippe Hurel, il a fait appel à un texte de Philippe Raymond-Thimonga afin d’écrire, en 1992, un mélodrame intitulé La Célébration des invisibles. Figurant une parabole tenant en partie de la science-fiction, cette pièce pour trois solistes vocaux, choeur, percussions spatialisées et sonorisées – avec contexte de théâtre d’ombres – tenait à cerner les thématiques du destin du monde et de l’aventure des civilisations. Placée sous l’adret et l’ubac du fabuleux et du tragique, l’oeuvre aspirait in fine à une nouvelle forme de vie dans l’espace croyant obstinément au légendaire rêve solaire.


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    « Ces anges, ces monstres / Regarde-les plus nobles que le chacal de la nuit, / Ces machines qu’ils ont, si secrets sous leurs masques, / La vie, la vie même », chantait Pierre Jean Jouve dans son poème intitulé L’Aile du désespoir. Ami de Scelsi, ce poète français a beaucoup écrit sur les anges, la musique, la prière et la mort.

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    À cet égard, Giacinto Scelsi, multi-artiste, trouvait que l’art était « un instrument de perception a priori des essences, un moyen de communication intuitive avec les puissances de l’Au-delà ». Aux confins du sensible, cette modeste étude (non exhaustive) a désiré montrer, au centre du cénacle artistique savant, que les musiciens européens « contemporains » n’étaient aucunement en reste vis-à-vis de la représentation sonore du phénomène angélique ou diabolique, somme toute invisible aux yeux des rhéteurs compétents comme des doux rêveurs innocents. En 1931, Olivier Messiaen n’écrivait-il pas à son confrère Jean Langlais : « Plus je travaille la musique plus je suis indigné de ma nullité devant cet idéal insaisissable ? »


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Marc Munch, « La célébration des percussions »
Dernières Nouvelles d’Alsace, novembre 1992.

 

Présentée deux soirs au Maillon, La « célébration des invisibles » créée par les Percussions de Strasbourg prend la forme d'une parabole, qui tient de la science-fiction et de l'histoire sur le destin des mondes et des civilisations. Pour chœur, percussion et théâtre d'ombres. Texte de Philippe Raymond-Thimonga, musique de Philippe Hurel.


    « Nous autres civilisations, nous savons que nous sommes mortelles» disait naguère Paul Valéry. Quand l'homme les fait disparaître, pourrait-on ajouter. La découverte de nouveaux mondes peut entraîner leur destruction. Il y a cinq siècles ce furent les civilisations amérindiennes. Mais le Nouveau Cuzco ce pourrait être, dans l'espace sidéral, un satellite d'Orion et ses habitants extraterrestres, si la vie y était possible. La grave fable philosophique emprunte plus ironiquement son imagerie à la B.D. On pourrait sentir le propos parfois proche de la naïve vulgarisation des mythes de science-fiction, mais ce qui y paraît plausible appartient peut-être sur quelques points déjà au domaine du futur...

Un côté avant-gardiste

    Les Percussions de Strasbourg n'avaient-elles pas, il y a un an, dialogué avec les étoiles en intégrant les ondes émises par les quasars dans la la pièce de Gérard Grisey ? C'est de la rencontre entre Christian Hamouy et Michel Rosennmann qu'est venue l'idée de la collaboration des Percussions à ce spectacle. ( ... )

    L'écriture pour percussions - bois d'abord puis métal - de Philippe Hurel (...) est ajustée au jeu d'ensembles des six musiciens et à l'accompagnement des chœurs. Les douze voix s'agencent  pour leur part en blocs sonorisés, souvent compacts, enserrant des échappées solistes de grande virtuosité d'intonation. Le mariage des instruments et du chœur se fait aisément, comme les glissements du chanté et du parlé. En dehors des sections purement instrumentales, ou des parties lyriques et méditatives dévolues, à la manière du théâtre antique, aux groupes statiques dans leurs costumes bariolés, le récit lui-même est mis dans la bouche des acteurs officiant derrière l'écran où se projettent les images en théâtre d'ombres.

    Lignes en dentelles, personnages dessinés en fixe ou marionnettes, l'élément visuel mis en œuvre par Michel Rosennmann incontestablement capte l'attention. Sa mobilité et parfois son humour donnent, par le mélange de l'abstrait et du figuratif, la réversibilité du flou et du net, la part de mouvement et de rêve qu'il faut à l’œuvre.

    La direction musicale de Roland Hayrabédian coordonne très efficacement le déroulement de cette « célébration des invisibles » à laquelle les Percussions de Strasbourg, l'ensemble vocal Musicatreize et la troupe de l'Amalgame apportent d'évidence leur solide contribution.

Marc Munch
 
 


 

Francis Grislin, "Création au Maillon : La célébration des invisibles", L'Hebdoscope, nov 1992.


    Au Maillon La célébration des invisibles, drame lyrique pour Percussions, Choeurs et Théâtre d'Ombres, nous introduit dans le monde de la science fiction, et nous pose avec une acuité saisissante les problèmes de la découverte d'une “terre inconnue”, la rencontre avec une autre civilisation.

    En cette années 1992, nous commémorons le 550e Anniversaire du voyage de Christophe Colomb et de la découverte de l'Amérique ; comme en écho les protagonistes du spectacle qui nous est présenté au Maillon célèbrent avec ferveur et gravité l'exploration des planètes, et la rencontre des hommes avec une autre forme de vie. Les choeurs nous apprennent que : “ Les hommes à cet âge étaient fiers de naviguer hors des régions solaires, ivres, vers la prochaine étoile, de possibles planètes...” Dans cette frénésie d'explorations des espaces interstellaires, les hommes découvrent sur la planète Cuzco des traces de vie qui s'apparentent ( tout en s'en différenciant étrangement ) à la vie terrestre. La directrice de l'Organisme de Recherche Spatiale et Aéronautique ayant pris conscience des dégats causés à cette civilisation prend la décision d'un retrait de la planète Cuzco, pour sauver la vie et parce que : “ La disparition de la vie sur le satellite équivaudrait à nous mutiler du passé et de l'avenir. “

    La troupe de L'Amalgame, grâce à des marionnettes manipulées avec adresse et ingéniosité derrière un écran, nous fait revivre ce récit, dans toute sa complexité et ses méandres subtils. Tout particulièrement fascinantes sont les scènes de cette première communication de la découverte de la vie sur Cuzco, notamment la scène avec les journalistes avides d'informations croustillantes. Les entretiens entre les scientifiques et le délégué du ministre sont à la fois passionnants et instructifs, le mouvement, la distorsion dans l'espace des personnages traduisant habilement et avec une certaine ironie leurs états d'âme.


    L'ensemble vocal “Musicatreize” traduit avec virtuosité et une intensité dramatique émouvante toutes les aspérités et toutes les nuances d'une partition musicale où la modernité se marie bien avec une certaine sobriété. Les choeurs, à la manière du théâtre antique, interpellent et ponctuent avec force le cours des évènements. Les Percussions de Strasbourg exécutent avec une parfaite maîtrise la composition de Philippe Hurel, sons de bois qui évoquent le ruissellement de l'eau dans les galeries souterraines, sons de métal ( vibraphones et gongs ) qui expriment toute l'intensité dramatique et poétique du texte de Philippe Raymond-Thimonga. Les costumes de Colette Ravier et les lumières de Gérald Lafosse nous font penser au fantastique de Gérard Druillet. Ils nous séduisent parce qu'ils ne tombent pas dans les travers d'un pastiche facile. La mise en scène de Michel Rosenmann donne à l'oeuvre toute sa dimension. Le sérieux et l'actualité du propos sont très habiement enchassés dans le monde de la fiction et de la poésie. La direction musicale de Roland Hayrabédian, précise et efficace, contribue avec sobriété à la réussite de cette Célébration qui se veut, au moment où le jour se lève, être une interrogation, un espoir et un désespoir lucide :


Un jour probable et clair se lève sur nos têtes,
mais rien n'infléchit la violence de l'aube,
implacable sur nos faces !
implacable clarté sur nos chants de débâcles,
implacable
sur nos silences

affamés.


Francis Grislin
 

 

Bruno Delion, « La tragédie cosmique de l’humanité »
L’humanité, 5 février 1993. 



    Créée en 1992, « la Célébration des invisibles » réunit sur une même scène percussions, théâtre d’ombres et chant choral. La découverte d’un Nouveau monde sur une autre planète… Quand sur une même scène se rencontrent les Percussions de Strasbourg, la compagnie de théâtre d’ombres Amalgame et le choeur Musicatreize, le spectacle peut alors commencer : le festival Sons d’hiver nous invite à une « Célébration des invisibles », créée à Strasbourg en novembre dernier et proposée au théâtre Romain-Rolland de Villejuif le dimanche 7 février, à 15 heures (1).

    L’écriture de ce conte d’ombres, de musique et de voix, vient d’une rencontre entre Michel Rosenmann, metteur en scène d’ombres, et Christian Hamouy, l’un des six musiciens des Percussions de Strasbourg. (...)  Le livret sera écrit par Philippe Raymond-Thimonga, le musique composée par Philippe Hurel, la mise en scène et les ombres confiées à Michel Rosenmann. « Ça n’est pas une caricature de science-fiction, précise ce dernier, c’est plus une réflexion philosophique, conçue comme un drame. Les voix des choeurs portent le récit du souvenir, d’une douleur et globalement des événements. Le théâtre d’ombres concrétise ce qui se passait sur cette planète. Cela nous intéressait de ne pas donner de formes à ces êtres, et donc qu’ils soient invisibles. Après, j’ai travaillé sur l’aspect des ombres, sur un jeu de rythmes et de dialogues, où je montrais ces êtres par leur action, en utilisant aussi des références visuelles, qui, petit à petit, deviennent celles des invisibles ».

    L’intervention des percussions est d’une importance dramaturgique à part entière : « Quand les percussions jouent, il y a une écoute du jeu. Je voulais éviter un rapport d’illustration ou de demande de l’un par rapport aux autres. La musique n’est pas une musique de scène, elle a sa liberté. C’est le thème qui crée l’unité du spectacle ».


Bruno Delion
 

(1) Théâtre Romain-Rolland de Villejuif (18, rue Eugène-Varlin).