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Thierry René Durand
Vie et chaos dans le roman contemporain Coll. Espaces Littéraires, L'Harmathan, 2022, p 98. « Domino, une œuvre publiée en 2006 (...) apparaît à bien des égards comme un texte clé dans le travail de l'auteur. Domino est le récit d’une impossible autobiographie. Composé de quatre récits parallèles qui parlent du même personnage à des époques différentes ( l’enfant, la prostituée, le moine et l’écrivain — «troublante chimère, en effet, écrit Thimonga à propos de Jouve, qu’un homme quand il est formé d’une femme odorante, d’un poète et d’un mystique depuis toujours à confirmer » ), il ne se résume pas à une totalité additionnée. Si, à l’instar de L’Éternité de temps en temps, les récits s’éclairent les uns les autres — au moins partiellement — ils ne se dissolvent pas, ne se dépassent pas dans une totalité englobante. Le récit est ici une parole plurielle, une polyphonie qui est au cœur de l’entreprise poétique thimongienne. Davantage qu’un personnage de roman, Domino apparaît alors comme « le personnage » par excellence, celui que nous sommes tous, celui qui s’écrit en deçà de toute essence : il est cet être mystérieux qui, selon l’une des définitions (fictive mais convaincante) que l’écrivain place en exergue « travers[e] avec facilité les œuvres d’auteurs distincts »167. Domino est formes. Et si son nom évoque quelque chose de maîtrisé, cette maîtrise reste avant tout celle de la forme. On ne s'étonne donc pas que le récit explore l’irréductible différence à soi qui est au cœur du tragique moderne. Les références de Domino à l'actrice américaine Louise Brooks qui a, paraît-il, inspiré L’Année dernière à Marienbad, la quête du père puis d’un maître spirituel appelé Loxias (comme l’Apollon de Delphes ainsi nommé parce que ses oracles étaient obliques : les borborygmes de la Pythie hiérophante devaient être interprétés par le hiérogrammate), enfin le désinvestissement de ces figures au profit d’une écriture dont nous comprenons à la fin qu’elle se poursuit dans une errance apaisée, créolisée, qui inclut les appétits matériels et spirituels, chaque forme composant l’un des masques d’une impossible totalité ou identité à soi, sont autant de thèmes qui soulignent une certaine approche de la condition tragique. Le tragique thimongien est l’excès du vivant par rapport à toute tentative de définition : « Je ne me ressemble pas », déclare le narrateur qui est en train d’écrire le roman que le lecteur est en train de lire : livre fini, publié, le lecteur l’a dans les mains, mais qui s'écrit et se lit à l'infini […]. À l'image de l'œuvre entière de Raymond-Thimonga, Domino apparaît ainsi au lecteur comme le récit-archipel d’une impossible unité dans laquelle chaque moment est une forme de défi à l’autorité — incestueuse et cadavérique — qui prétend donner sens au tout. Tout se passe à nouveau comme si, dans ce récit, comme dans L’Éternité de temps en temps, le centième nom faisait défaut, celui qui identifierait la Substance et dont l’absence ouvre enfin au tragique thimongien. Alors se trouvent soulignés à la fois l’impossibilité d’une autorité finale et ordonnatrice, mais aussi la vie rendue aux grands espaces nomades. Domino est l’illustration jubilatoire de la mise en échec de l'enchaînement à toute sublimation suprême. On ne se ressemble jamais totalement, on ne retrouve jamais dans une figure tutélaire. Ce faisant, Raymond-Thimonga parle à son lecteur d’un monde dont le tragique se déploie dans une érotique de la différence. Ses romans sont la scène constamment relancée d’une émancipation créatrice à l’égard de tous les pères terrestres et célestes. Il faut vivre, explique Raymond-Thimonga, dans le déséquilibre constant et jubilatoire du non-savoir de soi car "Dieu est vie ", c'est-à-dire pluriel ». Thierry René Durand
167. Dans un courriel adressé à l’auteur, Raymond-Thimonga explique à ce propos comment Domino a été inspiré par le souci partagé avec Jacques Jouet de créer un ou plusieurs personnages communs. Domino apparaît ainsi dans le roman de Raymond-Thimonga et dans celui de Jouet : L’Amour comme on l’apprend à l’école hôtelière ( P.O.L., 2006 ). Liens : Lire la 4e de Couverture Lire le sommaire Thierry René Durand sur le site de L'Harmatan Béatrice Bonhomme, “ Un univers et une langue ”, Revue Art Sud, n°54, février 2007. « En quelques années, les livres de Philippe Raymond-Thimonga ont imposé un univers où s’échangent, comme rarement dans la littérature contemporaine, « les armes secrètes » du roman et de la poésie. Si l’auteur, né en 1959 et vivant à Paris, où il enseigne les sciences humaines, a emprunté les voies du poème narratif, de la nouvelle, voire du livret d’opéra, il n’en a pas moins privilégié le roman. L’aventure commence avec Abel des Landes, (1988), et surtout L’Eternité de temps en temps (1990), parus au Mercure de France, se poursuit avec l’inquiétant Ressemblances, (1997), chez Desclée de Brouwer, jusqu’à la partition bouleversante de son dernier ouvrage, Domino, ( septembre 2006, L’Esprit des Péninsules ). “Autant de pièges, commente Jean-Yves Masson à leur sujet, aimablement tendus au lecteur pour subvertir sa conception de la réalité “. Mêlés à la production littéraire automnale, de rares ouvrages nous viennent parfois, rétifs aux lois du nombre, découvertes captivantes dont les amateurs s’échangent le nom avec des signes entendus et gourmands. Domino est de celles-ci, dans une langue admirable le roman semble poursuivre, à travers le destin de plusieurs personnages, une exploration de l’humain par le jeu intime de ses différences. Domino ou la création d’un visage intranquille qui pourrait ressembler au nôtre. A l’origine, donc, quatre voix nous parlent, nous sollicitent, quatre personnages s’avancent vers nous… …Contraint à raconter ses vacances, Nardo s’efforce d’insérer les éclats de sa vie de couple avec sa mère dans les sages proportions d’une rédaction scolaire… Comme chaque soir, Sandra, la chair sanglée des mêmes lanières, s’approche de son premier client au bord de la Place Dauphine… Jetant un regard par la lucarne de son couvent provençal, frère Dominique confie à son journal d’étranges confidences… Au soir de sa vie, Pierre s’égare dans le dédale d’un jardin apparemment désert… S’il est volontiers méditatif, le vieux Pierre, les souvenirs ne l’intéressent guère, du moins pas au sens habituel ; ils viennent à lui comme des apparitions, des épiphanies. Et lui-même est-il davantage qu’un songe ? Pourtant il a été cet enfant d’une couleur indécise sous les yeux d’une mère trop aimante et blonde, à vingt ans cette prostituée « de noir et blanc costumée » dans les allées du Bois, puis moine sous l’habit des bénédictins, la nuit écrivain côtoyant l’abîme, son livre le plus célèbre s’appellera… Comment s’intitule-t-il déjà ? Le vieil homme regarde au loin, devant, au bout de l’horizon. Domino ? Oui, le livre s’appelle ainsi : Domino. Le roman trace ainsi les méandres d’une vie. Entre 1973 et le milieu du XXIe siècle, se dessine une même existence, en quatre étapes, saisies non pas dans un récit linéaire et chronologique, mais parallèlement, en contrepoint. Emporté dans la spirale de cette architecture fascinante, où heurtent parfois l’écho des Vagues de Virginia Woolf, se diffusent les splendeurs vénéneuses des romans de Lobo Antunes, plusieurs questions se pressent à l’esprit du lecteur : pourquoi présenter dans une narration simultanée les âges successifs d’une vie ? Qui, au bout du compte, a pu vraiment rédiger l’ensemble du récit ? Quels liens existent-il entre le personnage principal du livre et l‘auteur lui-même ? Au gré des similitudes distillées au fil des pages, ne se dessine-t-il pas la piste d’un roman autobiographique ? Une manière d’autofiction, mais repoussant les indigences du genre, prodigieusement écrite, indifférente au brouhaha de l’actualité médiatique, et incluant l’avenir, sous les traits de ce vieil homme lucide ? Des éléments le suggèrent, d’autres le récusent. Un doute intriguant demeure… Ce qui s’affirme en revanche tout au long de la lecture c’est la tentation fabuleuse du roman de saisir ( dans la matière même, énigmatique et paradoxale, du temps) cette altérité interne de chaque individu, ces autres qui nous constituent, ce vertige d’une identité plurielle… Comme si Philippe Raymond-Thimonga n’avait pas voulu nous montrer les faces multiples d’un même être, mais plus loin et plus subtilement sans doute la quête par laquelle l’homme se compose à lui-même son visage. L’auteur, entretissé à la trame de son roman, semble nous tendre un miroir où se reflète l’illusion de notre précieuse unité, et propose de faire avec lui l’expérience de cette surprise que, chercher à être soi, c’est nécessairement s’inventer. Une magnifique traversée de l’humain. » Béatrice
Bonhomme Thomas Dreneau Froggy's Delight, mars 2009.
Au commencement de ce livre l'on est persuadé que chacune des
quatre histoires est un moment de la vie d'un personnage surnommé
Domino. Il y a tout d'abord l'enfant auprès de sa mère : tous deux attendent le nouvel amant de celle-ci qui doit venir les prendre et les emmener à la montagne pendant les vacances de Noël. Plus tard, Domino sombre dans la prostitution. Postée près d'un feu, Domino sourit au client qui lui donne de l'argent pour vivre et se payer de temps autre le plaisir de la drogue. Domino finit par entrer dans un monastère, et est suivi par le père Loxias, son confesseur. Enfin, il est un vieil homme hébergé par sa famille, et dont la carrière littéraire est dorénavant derrière lui. Bref, il semblait que ce roman fût un éclairage de la vie de Domino d'un point de vue chronologique. Mais, comme le nom Domino l'indique, il demeure beaucoup plus que cela. Domino est, en effet, l'abréviation de l'expression latine : « Bénissons le Seigneur ». Philippe Raymond-Thimonga présente son personnage central comme dominé par la tentation de se retirer du monde. Il est moins question de Dieu que de cette volonté d'atteindre l'idéal. Or, quel est-il justement ? Le besoin de retrouver l'innocence d'un enfant aimé ou non pas sa mère ; cet éloge du vice par la prostitution qui fait mal, abîme les corps jeunes et beaux, et paraît sans limite, puisque Domino couche avec son père qu'il (elle ?) n'a pas revu depuis des années ; la solitude d'un monastère ; ou celle encore de ce vieillard vivant dans un avenir irréel ? En fin de compte, celui qui écrit n'est autre que ce frère Dominique : il a découvert que son idéal ne se trouve pas dans ce monastère. Quelle métaphysique est possible dans un lieu où le père Loxias nettoie prosaïquement ses chaussures avec de l'eau bénite ? Non, pour atteindre l'idéal, la métaphysique, bref, qu'importe le mot ! Il est nécessaire de se frotter à la vie, d'exister parmi les autres, sans espoir d'échapper à la médiocrité qui nous guette. Ainsi, chaque histoire de Domino est une expérience de la vie, dont l'intérêt est de nous faire comprendre la beauté : la beauté - malgré la souffrance et le néant - de l'existence. Thomas Dreneau | |
Mehdi
Hachemi Kurb magazine, Paris, janvier 2007.
« Le quatrième roman de Philippe Raymond-Thimonga est déstabilisant… Il
nous raconte la vie de Nardo et de sa mère qui rêve un père pour son
fils, et surtout d’un mari ; l’histoire de Sandra, un travesti qui se
prostitue au bois ; celle de frère Dominique qui écrit dans sa cellule;
Et enfin Pierre, un vieil écrivain qui pose un regard très ironique sur
la vie. Les quatre visages d'un même homme à différentes étapes de leur
vie. ( …) Un roman très bien mené, très bien écrit, qui au début nous perd un peu mais pour mieux nous retrouver. » Mehdi Hachemi |